David BECK analyse les enjeux sociétaux et politiques au travers des technologies et de la consommation

Du mondialisme numérique au capitalisme technologicus

David BECK Academic - Society, Politics & Techology

La révolution numérique provoquée par l’adoption massive des technologies de l’information et l’interconnexion mondiale des systèmes d’information et de communication a connu une accélération fulgurante au cours des deux dernières décennies. Elle a entraîné un bouleversement profond des pratiques sociales, économiques et politiques des sociétés humaines, plus important encore que les ruptures engendrées par l’invention de l’écriture et de l’imprimerie.

Le mondialisme numérique

La transformation numérique touche tous les pans de la société et a donné naissance à un nouvel espace de communication et de partage d’informations : le cyberespace. Il a pour caractéristique de s’affranchir des frontières traditionnelles entre Etats – qu’elles soient territoriales ou politiques – et renverse la notion d’espace-temps. Le cyberespace est devenu un espace de lutte et de rapports de force. Les plateformes numériques s’appuient sur des technologies et une logique organisatrice fondée sur une ré-intermédiation, une donnée-ification, transformant les utilisateurs en agents de production et de consommation.

Transposons à l’espace numérique les concepts sur lesquels se sont construit l’indépendance d’un Etat : la population, les territoires, la puissance et la légitimité politique.

  • Les données exposées sont le reflet des biens et des personnes dans l’espace numérique. Ces données sont captées par des outils que nous utilisons. La contrepartie des services dont nous bénéficions sans payer en numéraire est réalisé en numérique, en données.
  • On entend beaucoup dire que le numérique a aboli le territoire, qu’il n’y a plus de frontières avec les notions d’informatique en nuage[1]. Les données sont sur terre, sur un territoire où des lois s’appliquent.
  • Dans le monde physique, la notion de puissance qualifie la puissance économique, la puissance militaire, la puissance culturelle[2]. Dans le monde numérique, la puissance est représentée par les capacités de calcul et de stockage des infrastructures. Cela comprend également les personnes qui savent concevoir et faire fonctionner les outils numériques.
  • Les Etats se sont construits autour de l’élection et de l’adhésion. Dans le numérique, l’adhésion est matérialisée par l’acceptation de « cookies » et de conditions générales d’utilisation. Ces formalités de consentement peuvent s’apparenter à une forme de soumission volontaire.

Le capitalisme technologique

Le capitalisme mondial est la quatrième et actuelle époque du capitalisme. Ce qui le distingue des époques antérieures du capitalisme mercantile, du capitalisme classique et du capitalisme d’entreprise nationale, c’est que le système, qui était auparavant administré par et au sein des nations, transcende désormais les nations et a donc une portée transnationale ou mondiale.

La mondialisation est un processus continu qui implique des changements interconnectés dans les sphères économiques, culturelles, sociales et politiques de la société. Ces aspects fondamentaux de la mondialisation sont alimentés par le développement technologique, l’intégration mondiale des technologies de communication et la distribution mondiale des médias.[3] Cette mondialisation est incarnée par les pays anglo-saxons dont l’influence de l’éthique protestante – et spécialement du puritanisme – sur le développement de l’esprit capitaliste est prégnant.

Un capitalisme s’est imposé, que l’on dit tantôt “culturel”, tantôt “cognitif”, mais qui est avant tout jusqu’à présent l’organisation ravageuse d’un populisme industriel tirant parti de toutes les évolutions technologiques pour faire du siège de l’esprit un simple organe réflexe : un cerveau rabattu au rang d’ensemble de neurones, un cerveau sans conscience.

Bernard Stiegler, Réenchanter le monde. La valeur esprit contre le populisme industriel, 2008

L’émergence de plateformes numériques multinationales, notamment américaines, organisant l’interaction d’une multiplicité d’entreprises et de consommateurs donnent un élan sans précédent à la construction d’un nouvel écosystème animé par un flux constant d’innovations sur l’information.

L’Age du Capitalisme de Surveillance de Shoshana Zuboff décrit comment des entreprises technologiques mondiales telles que Google et Facebook nous ont persuadés de renoncer à notre vie privée au nom de la commodité ; comment les informations personnelles (données) recueillies par ces entreprises ont été utilisées par d’autres non seulement pour prédire notre comportement, mais aussi pour l’influencer et le modifier ; et comment cela a eu des conséquences désastreuses pour la démocratie et la liberté.

Bien avant l’émergence d’Internet, tout ce qui pouvait être traduit en information le serait – échanges, événements, objets – et que les flux de données ont été utilisés partout où c’était possible à des fins de surveillance et de contrôle. La révolution numérique s’est transformée en une mutation dévoyée marquée par des concentrations de richesse, de savoir et de pouvoir sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Google a admis scanner les correspondances privées sur son réseau Gmail à la recherche d’informations personnelles. Le modèle d’entreprise de Facebook a été basé sur la capture et l’accès aux informations personnelles.

Les big techs vendent des certitudes à des clients commerciaux qui aimeraient savoir avec certitude ce que nous faisons. Elles veulent savoir quel est le maximum qu’elles peuvent obtenir de nous lors d’un échange. Il s’agit d’un mouvement fondé sur des algorithmes prédictifs, des calculs mathématiques du comportement humain, des techniques de reconnaissance automatique des émotions. Ces entreprises veulent savoir comment nous allons nous comporter afin de savoir comment intervenir au mieux sur notre comportement. La meilleure façon de rendre les prédictions désirables pour leurs clients est de veiller à ce qu’elles se réalisent. Il s’agit d’une modification du comportement.

En 2012 et 2013, Facebook a mené des expériences de contagion à grande échelle pour voir s’ils pouvaient affecter les émotions et les comportements dans le monde réel, sans que les utilisateurs en soient conscients. Certains ont également proposé que l’architecture de choix – les “nudges” et les “coaxes” – puisse être bénéfique pour la société, à condition d’être utilisée à bon escient. Les économistes comportementaux ont légitimé le nudge. Ces entreprises revendiquent l’expérience humaine comme matière première destinée à être traduite en données comportementales.

Shoshana Zuboff définit le « capitalisme de surveillance » comme un « nouvel ordre économique » et « une expropriation des droits de l’homme essentiels qui est mieux comprise comme un coup d’État venu d’en haut ». Différents types de plateformes peuvent coexister et délimiter des reconfigurations contrastées du monde moderne : un capitalisme de plateforme dirigé par le marché aux États-Unis, une société de contrôle panoptique en Chine, alors qu’idéalement l’Union européenne vise à convertir l’information en un bien commun mondial, surveillé par les citoyens.


[1] cloud computing

[2] soft power

[3] https://www.greelane.com/fr/science-technologie-math%C3%A9matiques/sciences-sociales/globalization-definition-3026071

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