Les avantages de la technologie blockchain vont du gain de temps et d’argent à la sécurisation des documents, renforcée par le cryptage et le partage des données à travers le réseau. La technologie blockchain représente une avancée pour les douanes en ce qu’elle offre de nombreuses possibilités allant de la collecte précise des données à la détection automatique des fraudes et à la perception automatique des droits et taxes.
La blockchain se caractérise par sa structure décentralisée dans un réseau informatisé donné : aucune entité n’a le pouvoir d’administrer le réseau et de surveiller, contrôler et valider toutes les transactions qui ont lieu entre les participants au réseau. Un autre terme utilisé pour caractériser la technologie blockchain est la notion de “contrat intelligent” : il s’agit d’un protocole informatique qui permet d’exécuter des contrats sans la participation de tiers.
La blockchain a le potentiel de provoquer une révolution dans le commerce international qui devrait être aussi radicale et à une échelle encore plus grande que la normalisation des conteneurs maritimes qui a débuté dans les années 1960. Cet article se concentre sur deux initiatives. La première, lancée par MAERSK et IBM, vise à créer une plateforme pour la numérisation du commerce. La seconde vise à établir une “autoroute de l’information” dans le cadre du réseau mondial de connectivité commerciale (Global Trade Connectivity Network GTCN). J’évoquerai également les cas de DB Schenker contre la contrefaçon et du prototype des douanes françaises.
Ces initiatives ne sont que deux exemples parmi une myriade d’autres efforts entrepris dans le monde entier par les entreprises commerciales et de transport. À cet égard, il ne fait aucun doute que la blockchain fera bientôt partie du paysage douanier. Quel sera l’impact sur les administrations douanières ?
L’impact de la blockchain sur les douanes
La blockchain peut sans aucun doute déclencher un changement profond et radical dans le paysage du commerce international. Tout d’abord, les applications liées au commerce basées sur la technologie du grand livre numérique contribueraient à réduire les énormes volumes de documents papier et les multiples interventions bureaucratiques qui sont considérées comme nécessaires à la conduite du commerce légitime.
En outre, les études de cas sur la blockchain, initialement lancées dans le secteur des services financiers, ont été étendues aux domaines du transport ou des flux de marchandises “physiques”, dans le sillage de la numérisation non seulement des instruments financiers, mais aussi des documents commerciaux et d’expédition traditionnels.
Grâce à la technologie blockchain, les douanes et les autres services frontaliers pourraient considérablement améliorer leur capacité à analyser et à cibler les risques, contribuant ainsi à une plus grande facilitation des échanges.
Les douanes seraient en mesure d’extraire automatiquement des informations de sources primaires pour le traitement des déclarations, améliorant ainsi l’exactitude, la qualité et l’immutabilité des données soumises. En réduisant la charge de la vérification manuelle et les ressources nécessaires pour valider les déclarations, la blockchain permettrait d’accélérer le traitement des déclarations en douane et, dans le même temps, de réduire les délais de livraison de bout en bout.
Concrètement, la technologie blockchain pourrait être intégrée aux pratiques douanières par le biais d’une plateforme commune, qui engloberait les entités commerciales impliquées dans le commerce (telles que les banques, les compagnies maritimes, les transitaires, les agents en douane, par exemple), pour autant qu’elles soient régulièrement impliquées dans le commerce, et qui permettrait le partage d’informations entre toutes ces parties.
En participant au réseau en tant que nœud, les douanes pourraient dédouaner automatiquement les marchandises qui ont été “présélectionnées” par d’autres douanes figurant dans leur registre à un stade antérieur, sans même avoir à détenir les marchandises au moment de la déclaration. En d’autres termes, les douanes pourraient réorienter leurs ressources limitées vers le traitement d’une catégorie de commerce impliquant des commerçants et des financiers considérés comme “extérieurs” au cadre du partenariat public-privé.
Avantages pour les commerçants en termes d’activités commerciales quotidiennes
Le FT s’est penché sur l’impact de la blockchain sur le commerce, notant : “Elle enregistre les transactions par blocs successifs, créant des données cryptées qui peuvent être partagées entre plusieurs parties le long de la chaîne d’approvisionnement, ce qui permet de maintenir les informations à jour instantanément sans risque de fraude.”
Supposons qu’un vendeur (exportateur) et un acheteur (importateur) s’entendent sur une transaction commerciale internationale particulière : le vendeur veut être sûr que l’acheteur honorera ses obligations de paiement, et l’acheteur veut payer le plus tard possible et seulement après que le vendeur se soit entièrement acquitté de ses obligations. Les deux parties seront probablement en mesure d’atteindre leurs objectifs respectifs par le biais d’un contrat intelligent, notamment grâce à la fonction d’auto-exécution qui devrait être intégrée dans les applications commerciales de la blockchain.
En incluant les banques (en tant que partenaires de financement du commerce) et les distributeurs (compagnies maritimes, transitaires), les fabricants (vendeurs) pourront démontrer qu’ils ont accepté de recevoir les marchandises commandées, ce qui donnera aux clients (acheteurs) l’assurance que les expéditions arriveront à temps.
L’initiative Blockchain de Maersk-IBM
Maersk, une compagnie maritime danoise, et IBM collaborent actuellement pour maximiser le potentiel de la blockchain dans le but de numériser le commerce mondial. Maersk espère que la blockchain permettra également aux régulateurs, notamment les douanes néerlandaises et le ministère américain de la sécurité intérieure, de suivre de près les flux de marchandises, d’évaluer efficacement les risques et de mener à bien les processus réglementaires.
La plateforme de numérisation du commerce mondial sur laquelle les deux entreprises travaillent, qui utilise la technologie blockchain, exploitera probablement aussi le potentiel d’autres technologies open source basées sur le cloud, notamment l’intelligence artificielle, l’internet des objets (IoT) et l’analyse de données, afin de garantir la traçabilité des marchandises échangées à travers les frontières.
La plateforme aura initialement deux fonctionnalités principales : un “pipeline d’informations sur les expéditions”, assurant la visibilité de la chaîne d’approvisionnement de bout en bout, et une composante “commerce sans papier” grâce à la numérisation et à l’archivage informatisé de tous les documents commerciaux.
En termes de visibilité, l’infrastructure numérique reliant les multiples participants d’un écosystème de la chaîne d’approvisionnement permettra de suivre en temps réel les expéditions conteneurisées tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Les participants pourront ainsi être informés à tout moment de l’emplacement d’un conteneur en transit et vérifier le statut des documents douaniers, tout en visualisant les données du connaissement et d’autres documents d’expédition. La technologie blockchain garantira qu’aucune partie ne pourra modifier, supprimer ou joindre une entrée sans le consentement des autres parties du réseau.
DP World Australia et DB Schenker : contre la contrefaçon
Deux géants de la logistique et de la chaîne d’approvisionnement, l’opérateur de ports à conteneurs et de chaîne d’approvisionnement DP World Australia et DB Schenker, ont formé un consortium qui utilise l’architecture blockchain développée par la startup blockchain TBSx3, basée en Australie, pour lutter contre la contrefaçon internationale et protéger simultanément les chaînes d’approvisionnement mondiales. L’objectif ultime de cette initiative est d’aider les entreprises à restaurer la confiance des consommateurs dans les chaînes d’approvisionnement.
Hamburg Süd, une autre compagnie de transport maritime par conteneurs, a également rejoint le projet. Supply Chain Dive indique, “Pendant un certain temps, Maersk s’est positionné comme un pionnier des nouvelles technologies dans le transport maritime grâce à son alliance blockchain avec IBM. Même si Maersk possède Hamburg Süd, le lancement d’une autre initiative blockchain est le signe avant-coureur d’une vague de changement au sein de l’industrie.”
Cas d’utilisation à Singapour
Sur le front du financement du commerce, l’Autorité monétaire de Singapour et son homologue de Hong Kong collaborent actuellement pour développer conjointement le Global Trade Connectivity Network (GTCN), qui permettra l’échange transfrontalier de données commerciales numériques par le biais de la technologie du grand livre distribué.
Dans un premier temps, le projet connectera le GTCN à la plateforme commerciale nationale de Singapour et à la plateforme de financement du commerce de Hong Kong, dans le but de construire une “autoroute de l’information” entre les deux plateformes. D’autres connexions avec des plateformes d’autres juridictions et communautés (telles que le Japon, la Chine du Sud via Shenzhen, la Thaïlande bientôt) seront lancées dans un avenir proche.
En outre, Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ (rebaptisée MUFG Bank en avril 2018), l’une des plus grandes institutions de services financiers du Japon, et NTT Data Corporation, l’une des principales sociétés d’intégration de systèmes du Japon, ont lancé leur projet pilote de démonstration de faisabilité, qui reliera le NTP de Singapour au prototype de plateforme de négociation basée sur la blockchain qui sera développé par un consortium d’entreprises japonaises.
En intégrant des plateformes numériques entre ces deux grandes nations commerciales par le biais d’interfaces de programmes d’application (API), le projet pilote visera à fournir des solutions numériques aux défis techniques couramment rencontrés dans le commerce international, notamment les différences de réglementation et les normes (différentes) en matière d’obligations documentaires. L’un des résultats escomptés est que le commerce transfrontalier entre les deux pays se fera presque entièrement sans papier.
Le projet pilote vise à rendre les flux transfrontaliers plus sûrs, plus efficaces et plus transparents, l’objectif à long terme étant de promouvoir une intégration accrue du commerce et de la chaîne d’approvisionnement dans la région.
Recettes et coopération entre les administrations douanières et fiscales
Dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la technologie bockchain pourrait donner aux autorités fiscales suffisamment de munitions pour réduire l’écart entre les recettes attendues et les recettes réelles, qui résulterait des tentatives des contribuables de se soustraire à l’impôt ou d’y échapper.
Selon l’avis des experts de PwC UK lors des discussions sur l’impact de la technologie, “la blockchain facilite grandement la détection des fraudes et des erreurs car le système fournit des informations claires et transparentes sur les transactions et les éléments du réseau” ; “elle pourrait donc être particulièrement utile pour tracer la TVA afin de déterminer si elle a été payée ou non, et ainsi réduire la fraude à la TVA.” Toutefois, une telle avancée passerait pratiquement inaperçue dans le monde réel de la fiscalité, selon un expert, qui ajoute que pour atteindre un tel objectif, “une autorité fiscale … devrait obtenir des informations de chaque contribuable. Ce serait un changement énorme que d’exiger de tous les commerçants ayant un numéro de TVA dans le pays qu’ils soumettent des données numériques, y compris ceux qui n’ont pas d’ordinateur et qui conservent leurs reçus dans un sac en plastique.
Une fois que les données relatives à certaines transactions entre un exportateur (vendeur) et un importateur (acheteur) sont enregistrées dans la blockchain et deviennent ainsi accessibles aux douanes, l’administration douanière du pays importateur, par exemple, pourrait recouper la déclaration de l’importateur avec les données pertinentes qui peuvent être tirées du réseau impliquant les deux parties. Si ces transactions étaient couvertes par des contrats intelligents auto-exécutoires, l’achat des marchandises par l’importateur, qui n’est terminé que lorsque les fonds couvrant la valeur des marchandises sont versés à l’exportateur (c’est-à-dire lorsque le transfert d’argent est terminé), pourrait être suivi automatiquement par le paiement des droits lorsque les marchandises sont dédouanées.
Enfin, les applications de registres communs et distribués pourraient transformer les mécanismes existants ou prévus pour l’échange d’informations fiables en temps réel entre les douanes et les autres autorités compétentes, améliorant ainsi la capacité des administrations douanières à détecter les pratiques frauduleuses. La technologie pourrait éventuellement être appliquée à l’échange d’informations entre les douanes et les autorités fiscales afin d’assurer une approche plus harmonisée de la perception des recettes. Une telle application permettrait d’aborder les questions d’évaluation en douane et de prix de transfert, en donnant notamment aux douanes la possibilité de mieux évaluer la véracité des déclarations d’importation ou d’exportation et de rejeter, le cas échéant, le “prix effectivement payé” (tel que déclaré) afin d’appliquer d’autres méthodes d’évaluation en douane dans les cas impliquant un transfert de bénéfices.
Qu’en est-il des douanes françaises ?
Dans son rôle de soutien aux activités des entreprises et afin d’accélérer sa transformation digitale, la DGDDI (Direction Générale des Douanes et Droits Indirects) a fait appel aux équipes d’un cabinet de conseil en transformation digitale pour analyser le potentiel d’innovation de la technologie blockchain. L’accompagnement s’est déroulé sur 6 mois, dont 3 mois d’expérimentation (développement et déploiement) en amélioration continue réalisée en collaboration avec Michelin.
Durant la période du 15 février au 31 mars 2019, la douane, en partenariat avec Michelin et leur prestataire douanier BDP International, a expérimenté un outil de suivi des entrées liées au régime spécial du perfectionnement actif basé sur la technologie blockchain.
Le perfectionnement actif (PA) permet aux fabricants de l'Union européenne de transformer des matières premières ou des produits semi-finis importés dans l'Union européenne en vue de leur réexportation sans payer de droits de douane ou de TVA sur les marchandises utilisées.
Michelin dispose d’une autorisation de PI pour toutes les opérations de rechapage sur le site de Bourges. Au cours de l’essai, Michelin et BDP International ont saisi environ 300 entrées correspondant à la durée de vie des marchandises couvertes par cette autorisation.
Le prototype permet d’enregistrer en continu et de manière infalsifiable des événements issus des processus logistiques et industriels (arrivée des marchandises et mise sous régime, mouvements, transformations, sortie des marchandises, etc.) Le registre de la blockchain, en l’occurrence privé, offrant une vision des données partagées entre ses utilisateurs, la douane et l’opérateur bénéficient de tableaux de bord de suivi en temps réel, permettant un audit immédiat et simple des données. Cette opération a été conçue pour remplacer la transmission régulière d’enregistrements aux douanes.
Cette démarche a démontré l’intérêt indéniable de l’utilisation d’outils de gestion de l’amélioration active (gain de temps, suivi visuel, alertes, etc.) et l’utilisation de la blockchain à cette fin s’est avérée adaptée. Cependant, pour profiter pleinement de la valeur ajoutée de la technologie, il serait nécessaire d’aller plus loin dans l’expérimentation, par exemple en connectant l’outil au système d’information d’un opérateur afin d’accéder à un suivi plus précis des marchandises et à une meilleure traçabilité. Pour donner suite à ce travail, une étude détaillée a été réalisée afin d’estimer le travail nécessaire pour faire évoluer le prototype vers un outil qui pourrait être proposé à l’ensemble des opérateurs
Mais voilà, l’équipe, dont le chef de projet en charge de la Blockchain au sein de la DGGDI a été réaffectée – en décembre 2020 – à un autre poste au sein du ministère de… la Santé !