Anarchisme : une nébuleuse aux formes multiples

Dans le langage courant, anarchie et anarchisme sont souvent confondus. Pourtant, les deux mots ont un sens différent, voire opposé. Dans les pays qui considéraient que le gouvernement était nécessairement une seule et unique personne (monarchie), les mots "république" ou "démocratie" ont été utilisés précisément, comme pour "anarchie", comme synonymes de désordre et de confusion. Ceux qui ont un intérêt capital à préserver leur statut voudront montrer que l'opposition au système actuel ne peut pas fonctionner en pratique, et qu'une nouvelle forme de société peut uniquement mener au chaos.

Anarchisme : sans contrôle hiérarchisé, sans pouvoir coercitif mais avec l’ordre

L’anarchisme est une théorie politique et un système d’organisation sociale qui se fait sans contrôle hiérarchisé, sans pouvoir coercitif. On parle aussi de mouvement ou de théorie libertaire. La référence à la « hiérarchie » dans ce contexte est un développement assez récent – les anarchistes « classiques », comme Proudhon, Bakounine et Kropotkine utilisaient ce mot, mais rarement. Ils préféraient généralement « autorité », qui était utilisé à la place d' »autoritaire ».

« Puisqu’on croyait que le gouvernement était nécessaire et que sans gouvernement il ne pouvait y avoir que désordre et confusion, il était donc naturel et logique que le mot anarchie, qui signifie absence de gouvernement, apparaisse comme étant un synonyme d’absence d’ordre. » – « L’anarchie » de Errico Malatesta, édition Lux, p.18

Tandis que la vision populaire de l’anarchisme est celle d’un mouvement violent, anti-État, l’anarchisme est une tradition bien plus subtile et nuancée qu’une simple opposition au pouvoir gouvernemental. Les anarchistes s’opposent à l’idée que le pouvoir et la domination sont nécessaires, et prônent à la place plus de solidarité, et une forme anti-hiérarchique des organisations sociales, politiques, et économiques.

Pierre-Joseph Proudhon (Qu’est-ce que la propriété, 1840), Mikhaïl Bakounine (L’Etat et l’Anarchie 1873), Piotr Kropotkine (L’Anarchie, sa philosophie, son idéal, 1896), Malatesta et Voline sont les principaux théoriciens de l’anarchisme. Le mouvement anarchiste se développe rapidement dans la seconde moitié du XIXe siècle. Largement représentés au sein de la 1ère Internationale, les socialistes libertaires (avec Proudhon et Bakounine) prônent le fédéralisme et luttent contre le centralisme autoritaire défendu par Marx. Proudhon argumentait aussi contre le communisme, déclarant que la communauté devient le propriétaire dans un régime communiste et donc que le capitalisme et le communisme sont basé sur la propriété et l’autorité (voir la section « Caractéristiques du communisme et de la propriété » dans Qu’est-ce que la propriété ?).

L’anarchisme est à la fois positif et négatif. Il analyse et critique la société actuelle, tandis que dans le même temps il offre la vision d’une nouvelle société potentielle – une société qui subvient à certains besoins humains que la société actuelle nie. Ces besoins, les plus basiques, sont la liberté, l’égalité et la solidarité. L’anarchisme est plus qu’une simple analyse ou que la vision d’une société meilleure. Il est aussi enraciné dans les luttes, luttes des opprimés pour retrouver leur liberté. En d’autres termes, il propose un moyen de réaliser un nouveau système basé sur les besoins des gens, et non sur le pouvoir, et qui place la planète avant le profit.

La société que l’anarchisme souhaite mettre en place s’appuie sur des valeurs libertaires, sans domination, où les hommes émancipés et égaux coopèrent librement. L’anarchisme est aussi une philosophie qui refuse tout dogmatisme et met en avant l’autonomie de la conscience morale, au-delà des notions de bien et de mal définies par une quelconque institution ou « pensée dominante ». L’homme doit être libre de se déterminer par lui-même et de l’exprimer.

Les différents courants de l’anarchisme

Une des choses qui deviennent rapidement claires pour quiconque s’intéresse à l’anarchisme, c’est qu’il n’y a pas une seule forme d’anarchisme. Il y a plutôt différentes écoles de pensée anarchistes, différents types d’anarchismes qui sont en désaccords sur de nombreux problèmes. Ces types sont généralement différenciés par les tactiques et/ou les buts, ces derniers (la vision d’une société libre) étant la différence majeur. L’anarchisme peut prendre de multiples formes, mais le point commun des différents courants qui le composent est le rejet du pouvoir et de l’autorité. Cela veut dire que les anarchistes, bien que partageant quelques idées clés, peuvent être regroupés dans des catégories, suivant les dispositions économiques qu’ils considèrent les plus appropriées à la liberté humaine.

Les différences principales se trouvent entre les anarchistes « individualistes » et « socialistes », même si les dispositions économiques souhaitées par chacun ne sont pas mutuellement exclusives. Des deux, les anarchistes socialistes ont toujours constitué la grande majorité, les anarchistes individualistes étant cantonnés essentiellement aux États-Unis. Pour résumer, les anarchistes socialistes préfèrent les solutions communes aux problèmes sociaux et une vision commune d’une bonne société (i.e. une société qui protège et encourage la liberté individuelle). Les anarchistes individualistes préfèrent les solutions individuelles et ont une vision plus individualiste d’une bonne société. Les nombreux types d’anarchisme ne sont pas l’expression d’une quelconque « incohérence » au sein de l’anarchisme, ils dénotent simplement d’un mouvement qui a ses racines ancrées dans la vie réelle plutôt que dans les livres de penseurs morts depuis longtemps.

L’anarchisme comporte un grand nombre de courants. Si tous refusent l’autorité d’un pouvoir supérieur, ils se distinguent par le niveau d’intégration de l’individu dans le groupe social, du plus intégrateur (collectivisme) au moins intégrateur (individualisme) :

  • l’anarchisme communiste : il prône la dictature du prolétariat, qui doit mener à l’extinction progressive du pouvoir étatique central… pour être remplacé par un autre pouvoir…,
  • l’anarchisme socialiste : largement influencé par Bakounine, propose une gestion collective et égalitariste de la société,
  • l’anarcho-syndicalisme : héritier de Bakounine, il pense que les syndicats sont le meilleur moyen de lutte et d’accès à la société anarchiste. Les syndicats doivent exproprier le capital. Chaque groupe de travailleurs dispose alors des propres moyens de production, la répartition des gains faisant l’objet d’une décision collective,
  • l’anarchisme fédéraliste (type proudhonien) : l’anarchisme proudhonien défend l’autogestion fédéraliste. Le travail, fondement de la société, devient le levier de la politique et le fédéralisme permet le dynamisme et l’équilibre de la société,
  • l’anarchisme individualiste : il considère que l’individu a la possibilité de se libérer en rejetant toutes les formes de domination de la société et en vivant selon ses propres principes sans collaborer avec les institutions oppressives. Cela se traduit par une absence d’obligation et de sanction. La volonté de l’individu prime. La notion de société est rejetée, celle d’association (libre, souple et temporaire) est préférée.

On peut citer également d’autres mouvements parfois qualifiés d’anarchistes : l’anarchisme chrétien (Léon Tolstoï, Ivan Illich), l‘anarcho-capitalisme (cf. libertarianisme), l’anarchisme écologiste (retour à la nature sous la forme de sociétés primitives ou la mise sous contrôle de la technologie par les hommes).…

Au-delà des notions de collectivisme ou individualisme, une autre clé d’entrée de la pensée anarchisme se cristallise autour de la notion de non-violence. Alors que les pratiques actuelles du mouvement anarchiste sont plutôt à caractère non-violent (manifestations, occupations, boycotts, désobéissance civile, activités sociales et culturelles alternatives, …), la réflexion sur la non-violence et la révolution anarchiste semble avoir insuffisamment progressé… J’aborderai cet angle dans un prochain article.

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