Le principe fondamental de la CCT (Consumer Culture Theory) est que la consommation n'est pas un phénomène uniquement marchand mais une culture avec ses mythes, ses rites et ses récits. Les individus utilisent ainsi la consommation comme facteur d'intégration sociale mais également pour les ressources identitaires qu’elle leur fournit. Ils vont développer des relations d'attachement avec les produits et les marques. Plus largement, les objets de consommation servent de vecteur de communication de signes et de symboles entre les individus. Les sociétés de consommation ont une signification anthropologique.
Les théoriciens de la culture de consommation (je vous invite à lire le premier article rédigé sur la CCT) cherchent à comprendre de manière comment la culture de consommation mondiale, médiatisée par le marché façonnent l’identité des gens. Les recherches mettent en lumière les pratiques de co-création par lesquelles les consommateurs intègrent ces ressources dans leurs modes de vie contextuels. Elle théorise également la manière dont ces activités influencent et sont influencées par les relations sociales, les structures de pouvoir et les institutions. La recherche sur la théorie de la culture du consommateur a eu tendance à aborder quatre domaines théoriques clés et leurs divers points d’intersection :
- les projets d’identité des consommateurs ;
- les cultures de marché ;
- la structure socio-historique de la consommation ;
- les idéologies de marché véhiculées par les médias de masse et les stratégies d’interprétation des consommateurs.
Dans tous les domaines d’enquête, les résultats de la recherche ont des implications pour la théorie, la pratique organisationnelle, la politique publique et la vie des consommateurs.
Les apports de la recherche française à la Consumer Culture Theory sont d’ordre conceptuel, méthodologique, managérial ou enfin critique. Cinq apports français peuvent être retenus. La sociosémiotique et la valeur de lien se détachent clairement. Si l’on s’intéresse à l’impact plus limité au niveau européen, le societing se met en évidence. Si l’on se limite au niveau francophone, deux apports ont eu un fort écho local et ont structuré de nombreuses recherches : l’appropriation et l’ethnomarketing.
Sociosémiotique : application de la sémiotique en marketing ou en comportements du consommateur
La sociosémiotique étudie la façon dont un objet est pris en charge par un système de discursivité, utilisé pour soutenir ou critiquer une vision du monde et des systèmes de croyance et dont il finit par alimenter en tant que ressource sémiotique ces mêmes systèmes. Elle porte une attention particulière non seulement aux contenus et aux formes mais aussi aux conditions de manifestation des discours. La sociosémiotique étudie l’inscription sociale du sens, sur la construction des signifiés comme objets de conflit social, du pouvoir, de constitution et de dissolution de groupes et de positions. Il est question de l’étude de l’inscription du sens au sein des pratiques sociales. L’approche sociosémiotique met en avant les dimensions culturelles et personnelles.
La valeur de lien : valeur d’une marque dans la construction ou le maintien de liens entre individus
La « valeur de lien »est un concept introduit par certains sociologues qui, autour du paradigme du don, ont cherché à démontrer l’applicabilité des travaux de Marcel Mauss élaborés dans les années 1920 au travers notamment de la revue du MAUSS (Mouvement Anti Utilitariste dans les Sciences Sociales). Ils défendent qu’à côté de la valeur d’échange et celle d’usage (fonctionnelle ou symbolique), la valeur de lien correspond «à ce que vaut un objet, un service, un geste quelconque dans l’univers des liens, dans le renforcement des liens ».
Au début des années 1990, certains chercheurs français en marketing font le pari de la communauté et considèrent, que l’individualisme n’aurait correspondu qu’à une courte période de transition et que la recherche du lien social, le tribalisme sont des phénomènes majeurs de nos sociétés postmodernes à la suite des travaux de Michel Maffesoli sur le tribalisme. L’individu semble pour eux chercher un moyen de se lier aux autres, de développer la relation interpersonnelle même de façon très éphémère. Pour satisfaire leur désir de communautés, les individus postmodernes cherchent des produits ou services moins pour leur valeur d’usage que pour leur valeur de lien.
Le Societing : possibilité conjointe de mettre en marché et de mettre en société
Dans une démarche de societing, l’entreprise n’est pas un simple acteur économique qui s’adapte au marché, mais un acteur social enchâssé dans le contexte sociétal. Son action sur le marché n’est donc qu’un sous-ensemble de son action dans la société. Au croisement du marketing et de la sociologie le terme societing disparaît puis réapparaît de manière régulière dans la littérature européenne en marketing et sociologie depuis plus d’une décennie. Le societing est un terme introduit par des chercheurs français et italiens pour désigner et appeler de leurs voeux une possible transmutation de la démarche marketing dans un contexte postmoderne. L’adoption du terme societing permet une prise en compte globale de basculements de manière responsable :
- passage de la transaction à la relation
- passage du produit au service
- passage du produit/service à l’expérience
- passage du produit/service à la solution
- passage de la création à la co-création
- passage de l’individu à la tribu dans sa notion de ‘nous’
- passage du marché au réseau
- passage du client au stakeholder…
Societing signifie soit mise en société pour les marketeurs, soit faire société pour les sociologues. Le champ d’action n’est plus le marché mais la société, en mettant d’abord l’accent sur le rôle social de l’entreprise. Le societing insiste sur la responsabilité sociale de l’entreprise notamment par l’entremise des marques, grandes pourvoyeuses de mythes, récits et symboles dans le monde actuel. De l’autre, en reconnaissant le rôle marchand de collectifs d’individus, tels les membres de communautés virtuelles comme Linux, le societing intègre l’action marchande d’acteurs non marchands dits sociétaux.
L’appropriation et la ré-appropriation
L’appropriation est considérée comme le fait de ‘faire sien’ une offre: un produit, une marque, un lieu de vente, une expérience… Les travaux français sur l’appropriation insistent sur l’importance du rôle productif du consommateur.
La ré-appropriation est le fait de réinterpréter, individuellement ou collectivement, le sens ou l’usage d’une offre dans un sens non prévu par l’entreprise. Dans le monde hypermoderne, les institutions et autres entreprises disent savoir comment gérer au mieux les choses et les personnes en organisant l’espace. La ré-appropriation est alors à considérer comme la réponse à un pouvoir trop présent des institutions ou des entreprises, comme l’expression d’une liberté contrainte de l’individu.
L’ethnomarketing : volonté de comprendre l’ensemble des phénomènes de consommation au-delà de l’acte d’achat
L’ethnomarketing porte un regard anthropologique sur la consommation et propose une analyse culturelle des phénomènes observés. L’ethnomarketing propose une interprétation ethnologique et microsociologique en comportement du consommateur et en distribution des problématiques marketing au niveau micro-social ou micro-individuel. Il sert de lien entre l’étude du comportement des consommateurs et les approches comparatives de l’anthropologie, centrées sur l’observation des pratiques et des usages des biens ou services.
La pratique de l’ethnomarketing se centre sur un objet matériel ou immatériel pour essayer de reconstituer l’itinéraire de son acquisition pour un bien ou de son accès pour un service. Concrètement, elle se centre d’abord sur les pratiques et les usages liés à l’acquisition du produit d’un côté et sur les codes ou normes qui organisent ces choix et pratiques de l’autre. Il est possible de remonter aux intentions, aux motivations de l’achat ou aux images que les consommateurs ont du produit. L’ethnomarketing est jugé comme une des meilleures méthodes pour comprendre le phénomène communautaire et notamment les rituels des communautés de consommateurs
Conclusion
Bien que le CCT soit d’origine académique, son approche a trouvé une application dans la sphère managériale, car les gestionnaires de marques ont réalisé que les significations culturelles, les collectivités de consommateurs et les affiliations sociales, ainsi que les projets d’identité des consommateurs, font partie intégrante du succès commercial des marques. En outre, les approches culturelles inspirées par la CCT ont conduit un certain nombre de chercheurs à les appliquer à la tâche de réimaginer la gestion du marketing d’un point de vue culturel.
Doug Holt a proposé, en 2017, une approche de la recherche qu’il appelle la Consumer Culture Strategy (CCS – stratégie de la culture de consommation) afin de susciter des engagements substantiels à l’égard de problèmes réels importants. La Consumer Culture Strategy poursuivrait son projet en acquérant une expertise dans le domaine des problèmes sociaux, en concevant et en menant des recherches susceptibles de combler les lacunes de la pratique et en élaborant des modèles de résolution des problèmes susceptibles de combler ces lacunes. Pour un chercheur orienté vers le CCS, la théorie devient un moyen de lutter contre un problème social/politique plus vaste.