David BECK analyse les enjeux sociétaux et politiques au travers des technologies et de la consommation
consumerisme

Le consommateur activiste veut prendre le pouvoir

David BECK Academic - Society, Politics & Techology
L'âge d'or d'une consommation euphorique, statutaire, insouciante, symbole d'une amélioration des conditions de vie, témoin d'une société qui envisageait l'avenir avec envie semble désormais révolu.

Après le consommateur acteur, animé par la quête d’une offre qu’il pourrait personnaliser, puis le consommateur auteur qui souhaite co-concevoir avec les marques ce qu’elles lui destinent, place désormais au consommateur activiste, ultime figure de la consommation post-moderne.

Longtemps étudiée en marge de la résistance ou de la responsabilité des consommateurs, cet activisme est aujourd’hui considéré comme un objet d’étude à part entière. Au centre de l’attention des chercheurs se trouvent les mouvements de consommateurs activistes qui, soit contestent l’action des marketeurs et de leurs organisations, soit se mobilisent pour favoriser un changement culturel en prenant appui sur la consommation. Au-delà des mouvements de consommateurs politisés, l’activisme collectif des consommateurs peut relever d’un activisme dit « light » assez éloigné du modèle canonique de l’activisme politique.

Qu’il soit politiquement engagé ou « light », l’activisme se retrouve dans des travaux sur les mouvements de consommateurs effectués dans différents secteurs et différents pays : des boissons comme la bière au Danemark ou le cola en Allemagne ou le téléchargement de jeux vidéo au Brésil en passant par les services de restauration en Finlande , les motos aux Etats-Unis, ou encore le cinéma au Royaume Uni et la bande dessinée à un niveau global.

Le consommateur activiste est d’abord un activiste. Il souhaite agir et la consommation est son arme. Agir pour les siens, pour les autres, pour son environnement comme pour sa planète qui est aussi la nôtre. C’est peu dire que le consommateur activiste est déterminé. Déterminé à modifier les règles du jeu actuelles plutôt qu’attendre les grands soirs avec leurs promesses de nouveau monde. Déterminé, aussi, à montrer que sa génération est la première à avoir pris conscience des limites et des dangers d’une course permanente au toujours plus.

Le consommateur activiste est un consommateur engagé qui souhaite que ses combats soient entendus et reconnus. Car agir, aujourd’hui, c’est se voir agir. Il ne s’agit pas pour autant de militer contre la consommation ou de la dénoncer comme il y a cinquante ans lorsque sa logique d’expansion sans limites se trouva, pour la première fois, confrontée à la crise économique.

Mais de créer les conditions pour faire émerger une nouvelle forme de consommation. Plus responsable, plus proche de ses véritables désirs que des impératifs de nouveauté permanente et animée par l’idée de faire circuler les biens pour que chacun puisse en profiter plutôt que de les accumuler au profit de sa seule jouissance.

Ce passage à l’action pour une consommation plus responsable est déjà effectif selon les Européens. 87 % agissent déjà en ce sens. Portugais et Polonais se montrent les plus résolus, alors que les Français sont relativement moins affirmatifs. Les millennials sont moins nombreux que les seniors à mettre en avant ce nouvel état d’esprit. Il s’agit sans doute d’une manière de vivre et d’agir plus naturelle pour une génération sensibilisée depuis son origine aux problèmes comme le réchauffement climatique.

Les marqueurs du choix d’une consommation responsable viennent conforter un activisme qui ne doit rien au hasard. Pour 51 % des Européens c’est un objectif et, mieux encore, une règle de vie pour 21 % d’entre eux. Les Italiens se distinguent à propos de celle-ci (31 %), alors que les Espagnols et les Français se mobilisent pour en faire un objectif (59 % et 55 %). C’est dans les pays d’Europe de l’Est que l’on rencontre les convictions les moins affirmées.

La volonté de consommer moins se double de celle de consommer autrement. Elle fait apparaître sur la scène consumériste un nouvel acteur central : le consommateur activiste. Un consommateur activiste qui s’engage à titre individuel, à travers des actions concrètes pour changer le visage de la consommation.
Un consommateur activiste qui veut croire en une prise de conscience globale, pour le bien de la communauté, de préférence celle qui lui est la plus proche.

Le consommateur activiste n’a pas renoncé à la consommation. Il n’a pas décidé de se résigner, en consommant moins ou en renonçant à une partie de son plaisir, mais de consommer autrement. Toujours critiquée pour ses excès et son penchant à activer des désirs qui n’auraient rien demandé, la consommation se retrouve donc aujourd’hui au cœur du changement. C’est par la consommation que la consommation se réinventera. C’est par une consommation plus solidaire, plus responsable et plus consciente des enjeux énergétiques et écologiques de la planète que l’on pourra, peut-être, réussir à la préserver.

De nouvelles figures consommatoires voient ainsi le jour, mues par la motivation de consommer autrement. Consommer pour défendre son environnement et affirmer ainsi sa citoyenneté. Consommer sans renoncer malgré un pouvoir d’achat tendu. Et même consommer sans dépenser, ultime figure paradoxale et preuve de l’état d’innovation dans lequel se trouve aujourd’hui la consommation.

Pour 35 % des Européens, une consommation plus responsable sera imposée par les consommateurs eux-mêmes. Une « solution » plus populaire que des taxes type pollueur-payeur ou des lois contraignantes (34 % et 31 %). Les pays du Nord constituent les terres d’accueil privilégiées de ces nouveaux consommateurs qui influencent l’avenir de la consommation.

Les Européens portent un jugement positif sur l’engagement des différents secteurs économiques pour une consommation plus responsable). Loin devant les autres, le secteur alimentaire recueille la meilleure appréciation (86 %). Il faut sans doute voir derrière ce résultat une visibilité plus évidente pour le développement du bio et des circuits courts, soutenue par une communication efficace. La deuxième place occupée par l’automobile (75 %) procède d’une logique similaire. Les efforts des marques pour développer la voiture hybride et électrique sont remarqués, à défaut de se concrétiser en ventes significatives. En bout de classement, les voyages (66 %) sont pénalisés par les transports qu’ils génèrent alors que le monde de la finance l’est par son immatérialité.

Tendances activistes

Le flygskam, ou la « honte de prendre l’avion », est un phénomène en voie de décollage. Venu de Suède, il commence à se répandre en Europe et aux États-Unis. Ce choix de privilégier tous les moyens de transports autres que l’avion a une incidence directe sur le marché aérien suédois : -6 % sur le trafic intérieur, -2 % sur les vols internationaux. Si ce phénomène venait à prendre de l’ampleur, les prévisions du trafic mondial s’en trouveraient significativement affectées.

La santé est au cœur des préoccupations, notamment en matière d’alimentation. Après la France et ses 14 millions d’utilisateurs, l’application Yuka connaît désormais le succès en Suisse, Belgique, Espagne, Luxembourg, ainsi qu’au Royaume-Uni. Le système d’étiquetage nutritionnel Nutri-Score, recommandé en France depuis octobre 2017, est obligatoire dans les publicités depuis février 2019. Trente-quatre grandes entreprises se sont engagées à le mettre en place. Il a aussi été choisi en Espagne et en Belgique. Au Royaume-Uni, un système voisin est progressivement adopté par les consommateurs. En Allemagne, certains producteurs s’intéressent au système. Parmi les grands pays européens, l’Italie fait bande à part en persistant à le refuser.

Les grands groupes agroalimentaires prennent conscience que les goûts et les attentes de leurs clients changent. Pour mieux les satisfaire, certains comme Coca-Cola, Kraft ou encore Mondelez ont créé des incubateurs dédiés pour investir dans des start-ups valorisant la qualité nutritionnelle, la naturalité ou la faible empreinte environnementale de leurs produits. Doté de 200 millions d’euros, Danone Manifesto Ventures envisage de prendre des participations dans une vingtaine d’entreprises. 301 Inc., la structure de General Mills, a déjà investi dans plus de 10 start-ups aux États-Unis.

La fast-fashion a perdu de son éclat. En France, pour la seconde année consécutive, les volumes sont en baisse. Geoff Rudell, analyste chez Morgan Stanley, estime que le marché global de l’habillement a atteint un plafond et que son déclin est structurel. En cause, son impact écologique et social que les consommateurs supportent de moins en moins. Comme le slow-food et la low-tech, la slow-fashion se développe en contre-point des comportements de consommation traditionnels. Une façon d’être à la mode et de consommer de manière plus avertie, en cohérence avec l’usage des produits, tels ceux proposés sur SloWeAre, plateforme de référence en matière de slow-fashion. En 2019, près de la moitié des Européens déclarent avoir acheté des articles de mode « respectueuse », textiles recyclés, bio, seconde main…

Le 7e continent inquiète et fait peur. Ces milliers de kilomètres carrés de déchets plastique qui dérivent dans les océans incitent les consommateurs à changer leurs pratiques et les gouvernements à prendre des mesures. Le 12 juin 2019, la directive européenne interdisant la mise sur le marché de certains produits en plastique à usage unique était publiée. À compter du 3 juillet 2021, pailles, cotons-tiges, touillettes à café, couverts et assiettes seront ainsi totalement interdits au sein de l’Union européenne. Les bouteilles en plastique devront contenir au moins 25 % de plastique recyclé en 2025, 30 % en 2030, et 90 % des bouteilles devront être recyclées à l’horizon 2029.

Le marché de la seconde main est en pleine expansion. Et avant 10 ans, il devrait même dépasser celui  de la fast-fashion. En France, il représente 50 milliards d’euros, tous secteurs confondus. Le leader est le site Leboncoin, avec 1 million d’annonces journalières et 28 millions de visiteurs mensuels. Des enseignes s’y mettent aussi pour proposer, comme Bocage, des chaussures déjà portées ou organiser, tel Camaïeu, un vide-dressing digital. 60 % des Français déclarent avoir acheté un produit d’occasion en 2019, contre 47 % dix ans auparavant.

Plus encore que des DIY (Do It Yourself), les Makers sont des RIY (Repair It Yourself). De nouvelles enseignes comme Ifixit ou Spareka aident ces consommateurs en lutte contre l’obsolescence programmée à réparer leurs appareils électriques. La Commission européenne s’est emparée également de la question. Le 1er octobre 2019, elle a adopté un règlement concernant la réparabilité et le recyclage des produits électroménagers. Ainsi, les pièces de rechange des réfrigérateurs devront être disponibles au moins 7 ans, et 10 ans pour celles des lave-linges et des lave-vaisselles. Gains espérés grâce à l’ensemble des mesures prises : au moins 150 euros annuels par ménage et l’équivalent d’une année de la consommation énergétique du Danemark d’ici 2030.

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