Les technologies numériques jouent un rôle de plus en plus structurant dans nos activités démocratiques. Le numérique n’est pas seulement une question d’outils, c’est une véritable « culture » qui se diffuse dans nos sociétés avec ses propres imaginaires, ses représentations et ses valeurs : collaboration, transparence, participation.
Neuromancien : Le livre qui a inspiré, entre autres, Ghost in the Shell et Matrix
Le terme cyberespace a été popularisé par l’écrivain américain William Gibson[1], un des leaders du mouvement cyberpunk, dans son roman Neuromancien (1984). Neuromancien (titre original : Neuromancer) est le premier roman de science-fiction de William Gibson. Il est généralement considéré comme le roman fondateur du mouvement cyberpunk, ayant inspiré bon nombre d’œuvres telles que le manga Ghost in the Shell et le film Matrix.
Si la question de la machine, dans son interaction avec l’homme, et la mutation qu’elle peut produire, occupe une place centrale dans un certain nombre de mouvements artistiques du XXe siècle, elle constitue la problématique fondamentale du mouvement Cyberpunk pour qui la machina n’est pas seulement un appareil qu’il est possible ou non d’utiliser mais plus profondément un instrument de contamination qui peut menacer notre société.
Les Cypherpunks : des rebelles avec une cause, notre vie privée
Les cypherpunks ne sont pas des cyberpunks : s’ils ont bien conscience des scénarios dystopiques pouvant dériver de l’évolution technologique (notamment en ce qui concerne la surveillance), ils ne sont pas pour autant absolument pessimistes. De ce fait, le mouvement cypherpunk constitue en quelque sorte une réaction au cyberpunk, dans le sens où il postule que la technologie peut amener les êtres humains à s’émanciper plutôt qu’à tomber dans l’esclavage mutuel.
Le mouvement cypherpunk se forme officiellement en septembre 1992 lors d’une première réunion à propos des implications de la cryptographie moderne dans l’évolution du monde. Parmi eux se trouvent Tim May[2], Eric Hughes[3] et John Gilmore[4]. Parodiant par sa première phrase le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels, Tim May y lit son Manifeste crypto anarchiste[5], écrit quatre ans auparavant, dans lequel il décrit le potentiel d’émancipation individuelle de la cryptographie et de l’anonymat. Ouvertement anarcho-capitaliste, le texte fait l’apologie du marché et explique comment cette nouvelle technologie permettrait aux individus de protéger leur liberté face à l’État :
Tout comme la technologie de l’imprimerie a altéré et réduit le pouvoir des corporations médiévales et la structure sociale de pouvoir, les méthodes cryptologiques altèrent fondamentalement la nature de l’interférence du gouvernement et des grandes sociétés dans les transactions économiques.
Tim May, The Crypto Anarchist Manifesto, août 1988
L’activiste Judith Milhon[6] donne leur nom aux cypherpunks. Il s’agit d’un mot-valise calqué sur le terme cyberpunk, et composé de cipher (chiffre, dans le sens de code secret) et de punk (voyou). L’appellation dérive directement de l’idée de la cryptoanarchie. « Je pense que vous êtes des crypto-anarchistes — ce que j’appellerais des cypherpunks ! », écrira-t-elle. Beaucoup de gens interviennent dès les premiers mois, dont notamment des personnalités comme le pirate téléphonique John Draper ou bien le cryptographes Hal Finney et David Chaum.
Les Cypherpunks ont structuré leurs actions sur cinq volets principaux :
- Développement logiciel, tel que les messageries cryptées, ou le projet Tor ;
- Matériel informatique ;
- Panels d’experts et contributions aux consultations publiques ;
- Actions judiciaires ;
- Désobéissance civile.
Nous voici confrontés aux problèmes de la perte de confidentialité, de l’informatique trompeuse, des bases de données massives, de l’augmentation de la centralisation – et David Chaum propose une direction à suivre complètement différente, une direction qui met le pouvoir entre les mains des individus plutôt que celles des États et des grandes entreprises. L’ordinateur peut être utilisé comme un outil pour libérer et protéger les personnes, plutôt que pour les contrôler.
– Hal Finney, email envoyé à la communauté Cypherpunks et intitulé « Why remailers… », 15 novembre 1992
Quelques mois plus tard, en mars 1993, Eric Hughes publie le Manifeste d’un Cypherpunk, texte fondateur de la philosophie du mouvement. En mai 1993, les cypherpunks font la une du magazine Wired, récemment fondé dans le but de parler de l’incidence culturelle, économique et politique des technologies émergentes. Les cypherpunks basent notamment leurs réflexions sur une longue nouvelle (cyberpunk avant l’heure) de Vernor Vinge, intitulée True Names et publiée en 1980. Celle-ci aborde les thèmes de l’anonymat, des mondes virtuels et de la singularité technologique[7].
[1] Timothy Christopher May, dit Tim May [1951 – 2018], n » dans le Maryland (Etats-Unis), est un informaticien américain, ingénieur et chef scientifique chez Intel à une période précoce et cruciale de l’histoire de cette société.
[2] Eric Hughes est un mathématicien américain et programmeur informatique.
[3] John Gilmore, américain né en 1955, est l’un des fondateurs de l’Electronic Frontier Foundation, de la liste de diffusion Cypherpunk et de Cygnus Solutions.
[4] The Crypto Anarchist Manifesto : https://www.activism.net/cypherpunk/crypto-anarchy.html
[5] Jude Milhon, de son nom de naissance Judith Milhon [1939 – 2003], née à Washington DC (Etats-Unis), est une hackeuse et auteure américaine, aussi connue sous le pseudonyme de St. Jude.
[6] Eric Hughes est un mathématicien américain et programmeur informatique.
[7] La singularité technologique est l’hypothèse selon laquelle l’invention de l’intelligence artificielle déclencherait un emballement de la croissance technologique qui induirait des changements imprévisibles dans la société humaine.